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De l'autre côté du miroir : voyage au pays des biais cognitifs

ESSAI

« Je sais bien ce que je dois faire, mais hélas je fais tout le contraire ». Telle est la complainte chantée par la jeune Alice perdue au pays des merveilles. Une complainte qui ne nous est pas complètement étrangère, puisque nous sommes nombreux, comme Alice, à tomber dans le piège des biais cognitifs.

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Passez avec nous de l’autre côté du miroir pour partir à la rencontre de ces obstacles à la pensée rationnelle…

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Un biais cognitif, c'est quoi ?

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Un biais cognitif est une déviation systématique et prévisible de la pensée logique et rationnelle. Les biais cognitifs résultent de raccourcis mentaux, qui peuvent être très utiles dans certaines situations, mais qui sont souvent à l’origine d’erreurs de raisonnement et de jugement.

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Il existe plus de 200 biais cognitifs identifiés dans la littérature scientifique. Très présents dans notre vie quotidienne, ils contribuent au phénomène des fake news, à l’inaction climatique, et freinent également nos capacités d’innovation (c’est le cas par exemple de l’effet de fixation).

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Dans le roman de Lewis Carroll, la jeune Alice plonge en apparence dans un monde sans logique, où personne ne semble suivre la voie de la rationalité. Le pays des merveilles est en réalité un puissant amplificateur des biais cognitifs et des mésaventures dans lesquels ils peuvent nous entraîner.

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À travers une plongée dans ce monde où tous les personnages paraissent dépourvus de bon sens, nous vous proposons de découvrir quelques biais cognitifs qui rythment également les mésaventures des êtres humains les plus raisonnables.

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"Gare au serpent", ou le biais de représentativité

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Alors qu’Alice est égarée dans une forêt enchantée, elle tombe - littéralement - sur le Pigeon, un oiseau colérique dont elle vient de bousculer le nid. Constatant que la jeune fille a dérangé ses œufs, l’oiseau est alors persuadé qu’Alice est un serpent en quête de son repas. Cette dernière lui affirme qu’elle n’est qu’une petite fille, mais lorsque le Pigeon lui demande « Et vous allez me dire que vous ne mangez jamais d’œufs ? », Alice répond « Oh si, je les adore ! ». Et l’oiseau de reprendre de plus belle : « Serpent ! Serpent ! »

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Quel raisonnement peut bien conduire le Pigeon pour déduire qu’Alice est un serpent à partir d’un régime alimentaire si banal ?

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Le biais de représentativité correspond à notre tendance à juger un individu sur un nombre d’éléments restreints, mais qui nous semblent représentatifs de cette personne.

 

Une belle illustration de ce biais a été donnée par les chercheurs Kahneman et Tversky en posant le problème suivant :

 

« Linda a 31 ans, elle est célibataire et très intelligente. Elle a suivi des études de philosophie. Étudiante, elle se montrait très préoccupée par les questions de discrimination et de justice sociale, et participait à des manifestations anti-nucléaires. »

 

Selon vous, Linda a-t-elle plus de chance d'être :

  1. Guichetière dans une banque.

  2. Guichetière dans une banque et active dans le mouvement féministe.

 

Une très grande majorité de personnes choisissent la réponse 2, bien que la probabilité des deux événements conjugués « Linda travaille dans une banque » et « Linda est active dans le mouvement féministe » soit plus faible que la probabilité du seul événement « Linda travaille dans une banque ».

 

En choisissant l’option 2, nous basons notre jugement sur des informations représentationnelles plutôt que sur des probabilités, et laissons notre cerveau prendre un raccourci le conduisant à l’erreur. C’est également ce que fait notre oiseau en se basant exclusivement sur une information tirée du régime alimentaire d’Alice pour en déduire, un peu hâtivement, son caractère reptilien.

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"Un joyeux non-anniversaire", ou le biais du temps présent

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C’est sans doute l’une des images les plus représentatives du conte d’Alice : le Chapelier fou et le lièvre de Mars célébrant le jour de leur non-anniversaire autour d’une folle Tea Party. Un tel attachement à un « non-événement » présent nous semble irrationnellement disproportionné et fait partie du charme de cet épisode. Les habitants du pays des merveilles seraient-ils (très fréquemment) victimes du biais du temps présent ?

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Ce biais cognitif correspond à notre tendance à accorder plus d’importance à ce qui se situe dans un futur proche, plutôt que dans un futur lointain. En d’autres termes, nous nous soucions davantage de ce qui peut se passer à la fin de la journée ou à la fin du mois, que de ce qui peut se passer dans 5 ans ou dans 10 ans. Le biais du temps présent contribue ainsi à l’inaction climatique, mais on peut y reconnaître, tout simplement, l’ennemi numéro 1 d’une tentative de régime ou de notre compte épargne.

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Comme les personnages du monde d’Alice, nous choisissons souvent – et parfois malgré nous - une gratification immédiate à une récompense sur le plus long-terme.

 

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"La reine les aime rouges", ou le biais de conformité

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Notre troisième exemple met en scène l'influence du groupe sur nos décisions. La scène se déroule aux abords du château de la Reine, dans un grand jardin. Alice y croise un trio de cartes à jouer s’affairant à peindre en rouge des rosiers blancs : « Excusez-moi mais pourquoi donc repeignez-vous ces fleurs ? » demande alors Alice. Très vite, la jeune fille imite ses infortunés compagnons et se retrouve à peindre des fleurs.

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Même si on peut y voir ici une volonté d’Alice de rendre service, le biais de conformité n’est sans doute pas complètement étranger à cette adoption d’un comportement identique à celui du groupe. Plongé en situation d’incertitude, un individu utilise souvent le groupe comme source d’information et comme point de référence sur la conduite à tenir. Une expérience réalisée par l’équipe de Brain Games illustre parfaitement cette influence de la majorité sur les choix de l'individu. Le biais de conformité peut nous conduire à adopter un comportement irrationnel et prévisible. Ce conformisme est également susceptible d'impacter nos croyances de façon plus ou moins superficielle, allant parfois jusqu'à modifier notre système de valeur.

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"Le beurre, il n’y a rien de meilleur", ou le biais de surconfiance

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Pour finir avec cette plongée dans l’univers des biais cognitifs, retournons chez le Chapelier fou et le Lièvre de Mars. Alors qu’Alice s’apprête à quitter leur Tea Party qui n’en finit plus, le lapin blanc surgit en clamant son éternel retard. Le Chapelier tente alors de le calmer en soulignant un dysfonctionnement de sa montre qui retarderait de deux jours. Mettant en œuvre toute son expertise d’horloger amateur, le Chapelier fouille dans les entrailles de la montre, y ajoutant tour à tour du beurre, du sucre et de la confiture. Et lorsque le Lièvre de Mars lui passe de la moutarde, il s’exclame avec assurance « Moutarde ? Ne soyez pas ridicule ! Un peu de citron, c’est différent. »

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Le Chapelier fou serait-il victime de surconfiance ? Ce biais cognitif se traduit, comme son nom l’indique, par une tendance naturelle à surestimer nos capacités et nos connaissances dans un domaine donné. Les chercheurs Dunning et Kruger ont par exemple montré que les personnes obtenant les notes les plus basses aux tests de grammaire s’estiment meilleurs que la moyenne (en auto-évaluent leur compétence au même niveau que les individus obtenant les meilleurs résultats aux tests). Cet effet s’inverse pour les experts qui, quant à eux, ont tendance à se révéler meilleurs qu’ils ne le pensent.

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Dans le monde d’Alice cependant, la plupart des personnages victimes de cet effet Dunning-Kruger semblent se situer sur une partie de la courbe ci-dessous appelée la « Montagne de la stupidité ».

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De l'autre côté du miroir

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« Je sais bien ce que je dois faire, mais hélas je fais tout le contraire » : bien que connaissant la conduite à tenir et ayant l’intention d’agir dans une direction, Alice se surprend à ne pas écouter sa propre logique et à adopter un comportement opposé au comportement souhaité. Tout comme de nombreux personnages du pays des merveilles, la jeune fille est victime de biais cognitifs qui la conduisent à adopter un comportement qui n’est pas le plus optimal pour elle.

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Présents dans de nombreux domaines, ces biais nous empêchent souvent de passer de l’intention à l’action. Ils expliquent les limites de nombreuses approches s’appuyant principalement sur un appel à notre bon sens, pour promouvoir la santé, la sécurité, les écogestes ou encore la collaboration et la diversité en entreprise.

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Alors n’ayons pas peur de plonger dans les irrationalités de l’esprit humain, de comprendre les facteurs qui gouvernent nos comportements afin de nous doter de nouveaux leviers d’action pour intervenir là où les approches classiques trouvent leurs limites. L’approche comportementale appelée « Nudge », qui utilise la connaissance des biais et des comportements humains pour imaginer des incitations douces au changement, est un exemple de piste prometteuse pour nous aider à sortir du labyrinthe de nos irrationalités.

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Sources :

 

Asch, S. E. (1961). Effects of group pressure upon the modification and distortion of judgments. In Documents of gestalt psychology (pp. 222-236). University of California Press.

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Carroll, L. (2012). Alice au pays des merveilles. Larousse.

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Kruger, J., & Dunning, D. (1999). Unskilled and unaware of it: how difficulties in recognizing one's own incompetence lead to inflated self-assessments. Journal of personality and social psychology, 77(6), 1121.

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Mischel, W., et al. (1972). Cognitive and attentional mechanisms in delay of gratification. Journal of Personality and Social Psychology, 21(2), 204-218.

 

Tversky, A., & Kahneman, D. (1983). Extensional versus intuitive reasoning: The conjunction fallacy in probability judgment. Psychological review, 90(4), 293.

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